À l’heure où le fil LinkedIn de tout professionnel déborde de prises de parole de PDG et dirigeants, une question s’impose : le personal branding des leaders est-il devenu une religion corporate obligatoire, ou reste-t-il un levier stratégique authentique ? Entre opportunité d’influence réelle et conformisme digital, décryptons ce phénomène.
La « Leader Advocacy » : nécessité stratégique ou pression sociale ?
Les chiffres sont éloquents : 76% de l’image d’une entreprise est désormais liée à celle de son PDG [1], et 63% des consommateurs font davantage confiance aux entreprises dont les dirigeants communiquent publiquement [2].
Mais ces statistiques créent-elles une pression injustifiée ? Avons-nous établi un système qui pousse certains dirigeants hors de leur zone de confort, les transformant en communicants alors que ce n’est pas nécessairement leur force ? Cette nouvelle injonction à la visibilité personnelle des patrons est-elle toujours dans l’intérêt de l’entreprise, ou parfois simplement une tendance que personne n’ose remettre en question ?
Les réussites du personal branding : décryptage sans complaisance
Certains dirigeants excellent indéniablement dans cet exercice :
- Satya Nadella a construit une présence en ligne cohérente autour de l’innovation et l’empathie, transformant radicalement l’image de Microsoft, une entreprise autrefois perçue comme un géant technologique froid. Mais reconnaissons-le : cette communication est le fruit d’une stratégie d’équipe sophistiquée, pas seulement d’une initiative personnelle spontanée [3].
- Alexandre Bompard utilise Instagram pour montrer ses visites terrain chez Carrefour et ses engagements RSE concrets, comme sa récente initiative sur la réduction des emballages. Cette transparence apparente renforce la confiance, mais elle s’inscrit dans une stratégie de marque employeur soigneusement élaborée par une équipe de communication [4].
Ces succès méritent notre attention, mais aussi notre questionnement : quelle part d’authenticité et quelle part de construction marketing dans ces prises de parole ? Et surtout, tous les dirigeants doivent-ils se plier à cet exercice pour réussir ?

Quand le personal branding devient contre-productif : les leçons à tirer
Le cas Elon Musk est fascinant à décrypter. Comment l’un des entrepreneurs les plus brillants de notre époque a-t-il pu transformer sa présence en ligne en handicap pour ses propres entreprises ? Ses positions politiques polarisantes et sa communication parfois erratique ont eu un impact mesurable sur Tesla, dont les ventes ont significativement reculé en Europe début 2025 [5].
À quel moment la démesure personnelle devient-elle toxique pour l’entreprise ?
Ce n’est pas une critique gratuite, mais un constat : lorsque la personnalité du dirigeant éclipse la mission de l’entreprise, le personal branding devient un risque stratégique.
De même, l’épisode d’Andrew Witty chez UnitedHealth fin 2024 soulève une question fondamentale : à force de pousser les dirigeants à s’exprimer sur tout, ne les exposons-nous pas à des situations périlleuses ? Sa défense de la limitation des « soins inutiles » a été perçue comme une justification cynique du profit avant l’humain, et a déclenché une tempête médiatique. La leçon ? Certains sujets exigent davantage de nuance que ce que permettent les formats courts des réseaux sociaux [6].
Les signaux d'alerte que nous devrions tous reconnaître
Au-delà des échecs retentissants, plusieurs signaux devraient nous alerter sur un personal branding qui déraille :
- La personnalisation excessive : Quand le dirigeant devient plus visible que sa propre entreprise, l’équilibre est rompu. C’est le syndrome du « moi-je » où les accomplissements corporate deviennent des victoires personnelles.
- L’authenticité fabriquée : Ces communications trop lisses, trop parfaites pour être vraies. Cette spontanéité de façade qui sonne faux aux oreilles des collaborateurs qui connaissent la réalité interne.
- L’élargissement incontrôlé du territoire d’expression : Ces dirigeants qui s’expriment sur des sujets éloignés de leur expertise ou de leur mission, diluant ainsi leur message principal et créant une confusion des genres.
- La valorisation individuelle au détriment du collectif : Quand le succès semble être l’œuvre d’une seule personne, oubliant les milliers de collaborateurs qui contribuent à la réussite. C’est le syndrome du « sauveur » qui s’attribue tous les mérites.
- Le décalage entre le discours et la réalité : Cette déconnexion entre une communication inspirante et une réalité d’entreprise bien moins reluisante. Ces CEO qui prônent la proximité sur LinkedIn tout en étant injoignables pour leurs propres équipes.
Vers un personal branding sans imposture ? Osons repenser les règles
Il est temps d’envisager une approche différente, plus réfléchie et authentique :
- Acceptons que tous les dirigeants n’aient pas le même rapport à la communication : Certains excellent dans la discrétion et l’efficacité silencieuse. Pourquoi ne pas valoriser ces profils également ? Le cas de Tim Cook (Apple), bien moins présent sur les réseaux que son prédécesseur mais tout aussi efficace, illustre cette possibilité.
- Exigeons une cohérence entre parole et action : Le meilleur personal branding est celui qui reflète exactement ce qui se passe dans l’entreprise. Les employés sont les premiers à détecter le décalage entre la communication externe et la réalité interne.
- Valorisons la qualité plutôt que l’omniprésence : Une intervention rare mais percutante crée souvent plus d’impact qu’une présence constante mais diluée. Les leaders qui savent se faire rares pour mieux se faire entendre démontrent une intelligence communicationnelle supérieure.
- Réinventons l’équilibre entre individu et collectif : Et si le meilleur personal branding d’un dirigeant était sa capacité à mettre en lumière ses équipes plutôt que sa propre personne ? Les leaders qui partagent la lumière gagnent paradoxalement en stature et en respect.
Conclusion : vers un personal branding conscient et responsable
Le personal branding des dirigeants n’est ni intrinsèquement bon ni mauvais, c’est un outil qui mérite d’être utilisé avec discernement et authenticité.
Les leaders qui marqueront véritablement leur époque ne seront pas ceux qui auront accumulé le plus d’engagements sur LinkedIn, mais ceux qui auront su utiliser leur visibilité pour créer un impact tangible, sans jamais confondre leur personne avec leur fonction.
Alors, dirigeants et professionnels de la communication, êtes-vous prêts à remettre en question vos certitudes sur le personal branding ? C’est dans le courage d’être authentique que se trouve peut-être la véritable innovation en matière de leader advocacy.
Sources :
[2] Edelman Trust Barometer, 2024
[3] LinkedIn
[4] Instagram
